La fin des actions au porteur

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La fin des actions au porteur

Etat des lieux un an après l'entrée en vigueur de la loi

Il y a près d’un an, la modification du code des obligations interdisant l’émission d’actions au porteur entrait en vigueur. Cette modification s’accompagnait de mesures progressives dont la prochaine arrive bientôt.

13.10.2020

La loi fédérale sur la mise en œuvre des recommandations du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales du 21 juin 2019 est entrée en vigueur le 1er novembre 2019.

 

Cette loi fait suite aux résultats de la Suisse aux deux cycles d’examen du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales. A l’issu du premier cycle d’examen, la Suisse avait obtenu la note « conforme pour l’essentiel ». Pour conserver cette note, il était impératif pour notre pays d’abolir les actions au porteur jugées trop opaques.

 

Pourtant les actions au porteur avaient déjà fait l’objet d’une révision importante en 2015, gagnant ainsi en transparence. Avec le recul, cette première modification sonnait donc déjà le glas des actions au porteur.

 

Bien que plus radicale, la suppression des actions au porteur n’était donc pas une surprise totale en 2019.

 

Compte tenu des implications pratiques qu’une telle modification entrainait, des exceptions et des mesures progressives ont été mis en place.

 

Nous vous proposons aujourd’hui un éclairage sur les actions au porteur, de 2015 jusqu’en 2034.

Les actions au porteur et les actions nominatives

Historiquement, le capital-actions d’une société anonyme peut être divisé en deux types d’actions : nominatives ou au porteur.

 

Les actions nominatives sont émises au nom d’une personne déterminée. L’actionnaire est clairement identifié et doit être inscrit par la société dans un registre des actionnaires. La société connaît donc tous ses actionnaires. Dans le même sens, la transmissibilité des actions peut être limitée (actions nominatives liées) pour protéger le cercle des actionnaires. Ainsi, même si les actionnaires sont anonymes pour les tiers, ils ne le sont pas vis-à-vis de la société elle-même. 

 

Les actions au porteur, quant à elles, n’indiquent pas le nom de l’actionnaire. C’est la personne qui détient l’action qui est légitimée vis-à-vis de la société. La société n’a pas d’obligation de tenir un registre de ses actionnaires qui bénéficient donc d’un anonymat complet. L’action est dès lors aisément transmissible.

 

Au final, le Conseil fédéral estimait qu’un peu moins d’un tiers des sociétés avaient opté pour les actions au porteur.

Les actions au porteur en 2015 : une plus grande transparence

La loi fédérale sur la mise en œuvre des recommandations du GAFI du 12 décembre 2014 visait l’amélioration de la transparence en ce qui concerne les personnes morales. Cette loi a notamment introduit une modification du Code des obligations en matière d’actions au porteur.

 

Depuis le 1er juillet 2015, les personnes acquérant des actions au porteur doivent s’annoncer à la société. Le régime des actions au porteur se calque donc désormais sur celui des actions nominatives. La société a l’obligation de tenir un registre des actions au porteur et connait donc ses actionnaires.

 

L’actionnaire dispose d’un délai d’un mois pour s’annoncer au Conseil d’administration. A défaut, il ne peut pas exercer ses droits sociaux (droit de vote) et les droits patrimoniaux s’éteignent (dividendes). Relevons que les droits patrimoniaux s’éteignent jusqu’à l’annonce de l’actionnaire. Aucun dividende ne peut ainsi être versé. Même après l’annonce, le droit au dividende n’est pas rétroactif.   

 

Les actionnaires qui possédaient des actions au porteur avant le 1er juillet 2015 devaient également s’annoncer à la société. Ils avaient jusqu’au 31 décembre 2015 pour accomplir cette obligation au risque de se voir appliquer les sanctions précitées.  

Emission de nouvelles actions au porteur impossible depuis le 1er novembre 2019

Depuis le 1er novembre 2019, le Code des obligations a été modifié pour interdire l’émission de nouvelles actions au porteur. Toutefois, deux exceptions subsistent :

  • Si la société a des titres cotés en bourse ;
  • Si les actions sont émises sous forme de titres intermédiés et sont déposées auprès d’un dépositaire en Suisse désigné par la société.

 

Ces deux exceptions ne concernant pas la majorité des sociétés disposant d’actions au porteur, nous ne développerons pas ces points.

 

Ainsi, toute nouvelle société ou augmentation du capital ne peut se faire qu’au moyen d’actions nominatives depuis près d’un an.

La fin des actions au porteur le 1er mai 2021.

Le simple fait d’interdire l’émission de nouvelles actions au porteur n’était pas suffisant pour satisfaire les exigences du Forum Mondial. En effet, que faire des anciennes sociétés disposant encore d’actions au porteur ?

 

La loi fédérale du 21 juin 2019 a tout prévu. Les sociétés concernées ont jusqu’au 1er mai 2021 pour convertir leurs actions au porteur en actions nominatives.

 

Pour cela, les sociétés doivent convoquer une assemblée générale en la forme authentique (devant notaire) afin d’adapter leurs statuts.

 

Si les sociétés ne prennent aucune mesure d’ici le 1er mai 2021, le registre du commerce compétent procèdera d’office aux modifications nécessaires et sommera les sociétés de modifier leurs statuts en conséquence. Tant que les sociétés n’auront pas modifié leurs statuts, le registre du commerce rejettera toute réquisition d’inscription ou de modification. Il ne sera donc plus possible de nommer un nouvel administrateur ou d’effectuer un changement d’adresse.

Implications pour les actionnaires

Les actionnaires qui ne se seraient pas annoncés à la société d’ici le 1er mai 2021 verront leurs droits sociaux suspendus et leurs droits patrimoniaux éteints, conformément aux dispositions introduites en 2015.

 

En plus de la déchéance de leurs droits, ces actionnaires ne pourront plus se faire inscrire au registre des actionnaires sur simple requête. Ils pourront, avec l’accord de la société, requérir du tribunal leur inscription jusqu’au 1er novembre 2024. Ils devront prouver au juge leur qualité d’actionnaires (démontrer l’intégralité de la chaîne de propriété des actions). C’est seulement lorsque le tribunal approuvera la demande que la société devra inscrire les actionnaires concernés. Relevons dans ce cas que les droits patrimoniaux seront restaurés sans effet rétroactif. Ainsi, un actionnaire qui n’aurait pas eu droit aux dividendes pendant 2 exercices n’aura aucune prétention sur ces dividendes.

 

Enfin, les actionnaires qui n’auront pas demandé leur inscription avant le 1er novembre 2024 verront leurs actions annulées d’office et seront déchus de leurs droits. Aucune action de la société ne sera requise et aucune opposition ne sera possible. Les actions annulées seront remplacées par des actions propres de la société. Les dispositions relatives aux actions propres et notamment les pourcentages de détention maximums seront applicables.

 

Les actionnaires qui auront vu leurs actions annulées sans faute de leur part pourront faire valoir un droit à une indemnisation auprès de la société jusqu’au 30 octobre 2034. L’indemnisation correspondra à la valeur réelle des actions au 1er mai 2021 sauf si la valeur est plus basse au moment de la revendication de l’indemnité. Dans tous les cas l’indemnité ne pourra être versée que si la société dispose suffisamment de fonds propres librement disponibles.

Sanctions

Lorsque la société ne tient pas son registre des actionnaires ou sa liste des ayants droits économiques correctement, le juge pourra prononcer la dissolution de la société et ordonner sa liquidation pour carence dans l’organisation.

 

Les administrateurs pourront également se voir infliger une amende d’un montant maximal de CHF 10’000. Une même amende pourra être prononcée contre les actionnaires qui ne communiqueraient pas les informations relatives aux ayants droits économiques ultimes.

Synthèse des mesures progressives en matière d’actions au porteur

L’évolution du régime des actions au porteur peut donc être résumé comme suit :

 

  • 1er juillet 2015: obligation d’annonce des actionnaires au porteur auprès de la société.
    • Dans un délai d’un mois en cas d’acquisition ;
    • D’ici la fin de l’année 2015 dans les autres cas.
  • 1er novembre 2019:
    • Interdiction d’émettre de nouvelles actions au porteur sauf dans 2 cas particuliers.
    • Les sociétés sont invitées à convertir leurs actions au porteur en actions nominatives.
  • 1er mai 2021: Les actions au porteur seront automatiquement converties en actions nominatives.
    • Les sociétés qui ne modifieront pas leurs statuts ne pourront requérir aucune nouvelle inscription ou modification au registre du commerce.
    • Les actionnaires qui ne se seront pas annoncés se verront suspendre leurs droits sociaux et patrimoniaux.
    • Les actionnaires pourront solliciter le juge, avec accord de la société, pour prouver la propriété de leurs actions et se faire inscrire au registre des actionnaires.
  • 1er novembre 2024: Annulation automatique des actions des actionnaires qui ne se seraient pas annoncés.
    • Les actions annulées deviennent des actions propres de la société.
    • Les actionnaires non fautifs pourront éventuellement obtenir une indemnisation de la société.
  • 31 octobre 2024: Déchéance du droit à l’indemnisation des actionnaires concernés.

Conclusion

Si la fin des actions au porteur n’a jamais été aussi proche, de nombreuses problématiques juridiques ne font que commencer.

 

Le changement de régime met en exergue l’importance du registre des actionnaires et de la liste des ayants droits économiques. Les actions converties qui ne pourront pas être attribuées à un actionnaire seront indiquées dans le registre. Elles entraîneront immédiatement la perte des droits sociaux et patrimoniaux des actionnaires concernés.

 

Si les actionnaires ont réglé leurs rapports dans une convention, la mise en application de cette convention sera d’autant plus complexe.

 

Il est donc primordial de prendre toutes les mesures nécessaires (pour le cas où rien n’aurait été encore entrepris) afin d’anticiper cette conversion automatique des actions dans six mois.

Christopher Faget

Christopher Faget

Directeur associé Fidag Genève
Juriste - fiscaliste

Fidag - Avec vous

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